Le choix

Photo : Sylvain Maresca

Après l’avalanche de morts dues à la pandémie, cet afflux dans les hôpitaux de malades qui décédaient sous les appareillages et dans l’inconscience où on les avait plongés artificiellement pour faciliter l’intrusion dans leur corps des tubes censés les sauver ;
après l’accumulation de ces trépas réduits à des statistiques sinistres et abstraites, sauf pour les familles ou les proches privés du dernier contact, du dernier regard ;
après le confinement des vieux dans les Ehpad, longtemps tenus à l’écart de tous, même au moment de leur dernier souffle ;
après cette irruption inattendue, brutale, menaçante, démultipliée, de la mort dans nos existences vécues jusque-là benoîtement à l’abri de la médecine toute-puissante ;
voici une lecture qui fait du bien :

elle témoigne du rapport étroit et paisible à la mort dans l’Ukraine paysanne du début du XXe siècle, avec sa part de décision personnelle, ses rituels collectifs, ses inévitables mesquineries et sa dose de ridicule :

« Il arrivait qu’un grand-père de quatre-vingt-quinze ans décidât tout à coup qu’il allait mourir. Il était grand temps. Ses enfants étaient adultes et ses petits-enfants déjà grands, il fallait partager la terre et il était encore là. Les proches affluaient de toute part. Ils attendaient, debout, soupiraient. Pépé restait allongé sur sa couche, sous les icônes, dans une chemise propre, un jour, deux, trois… Il ne mourait pas. On appelait le prêtre qui lui donnait la communion, les derniers sacrements… Pas encore. Le quatrième jour, on faisait cuire des crêpes, des beignets et une galantine pour le repas funèbre, on apportait deux seaux de vodka… Toujours pas. Le sixième jour, on lui fourrait dans la main un cierge de Pâques. On chancelait de fatigue. On languissait. Toujours pas. Le septième jour, on allumait le cierge. Pépé regardait tout le monde d’un air grave puis soufflait le cierge, se levait de son lit de mort en disant :  » Nan ! Ça veut pas !  » et sortait dans la cour pour couper du bois. »
(Alexandre Vertinski, Le Nègre violet, Paris, Louison Éditions, 2017, p. 42 – traduit du russe par Jean-Baptiste Godon)

Merci à Ronan de m’avoir offert ce livre.

3 réflexions sur “Le choix

  1. Bienvenu ce texte qui s’inscrit dans une anthropologie où la mort est un événement « non-événement  » parce que cela fait partie de l’ordinaire et du quotidien. Comparer et rapprocher à  » La mort d’Ivan Ilitch » de Tolstoï qui, – ce n’est pas un hasard -, s’inscrit dans une culture voisine (Russie).

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