Le rideau

Photo : Sylvain Maresca

Le voilage ondule sous la brise qui filtre entre les battants de la fenêtre, tandis que le jour décline à l’abri des grands arbres du parc. Une odeur d’herbe fauchée monte de la pelouse qui s’étend depuis le perron jusqu’au bassin. Un silence peuplé d’insectes en mouvement accompagne cette pause de la nature qui se prépare à la nuit. L’étoffe frise mollement. Les papillons brodés dans les replis du rideau prennent vie insensiblement, propulsés sans le moindre bruit par une lumière dorée qui irise leurs écailles. Leurs ailes se détachent du tissu et commencent à battre. Ils forment à présent une nuée éphémère qui flotte autour de la fenêtre dont elle percute les vitres, avant de s’en écarter pour investir la pièce, gagnée par la pénombre.

Le cadavre gît sur le lit, sanglé dans un costume noir qui ne laisse apparents que ses mains veinées de bleu et son visage de cire. L’essaim de papillons s’en approche, l’effleure aussi doucement qu’une caresse, s’en éloigne, puis revient, suscitant autour de son enveloppe charnelle une aura vibrante qui ne se résout pas à son inertie. On dirait qu’ils cherchent à soulever le corps, à lui redonner vie, à l’emporter, qui sait ? Mais trop lourd pour leurs ailes légères, le corps demeure insensible aux souffles d’air que soulève leur batterie volatile.

Les assauts des papillons se renouvellent sans relâche. À présent que l’obscurité sature la pièce, leurs taches blanchâtres, seuls points encore visibles, dessinent un langage secret, sans interlocuteur ni vocabulaire. Avec la nuit qui s’abat sur la terre, les papillons disparaissent tout à fait, même si une très légère vibration de l’air trahit encore leurs mouvements. Puis on ne perçoit plus rien.

Au matin, un taffetas de papillons morts recouvre le lit d’où le cadavre a disparu, hormis une chaussure tombée sur le tapis.

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