Avec soin

Giacometti, L’homme qui marche

Cet homme se promène avec soin.

Je recours à dessein à cette expression incongrue pour signifier qu’il ne fait pas que marcher dans le parc, même s’il consacre à sa promenade une énergie, un empressement tels qu’on le croirait en retard pour un rendez-vous imminent ou poursuivi par l’orage qui menace. Eh bien, moi qui le croise souvent le matin dans les allées du parc, je peux vous affirmer que telle est son allure habituelle : il trotte menu, uniformément, sans que son pas alerte présage la moindre alerte, aucun empressement particulier.

Sauf que cet homme qui avale ses pas marque des haltes inattendues qui transforment sa déambulation en une course d’obstacles. Le protocole est chaque fois le même : il s’arrête, se penche en avant, son bras droit s’allonge jusqu’au sol où sa main ramasse précautionneusement une brindille ou un pétale de fleur apporté par le vent. Ces minuscules déchets trouvés sur le chemin, il les dépose tout aussi doucement sur le bord, dans l’herbe de la pelouse ou sous le couvert des arbres. Puis il reprend sa course qu’un nouvel arrêt interrompra quelques minutes, voire seulement quelques secondes plus tard.

Parfois, c’est un emballage de bonbons ou un reste de chips qui bloque son passage. Il s’en empare alors de sa main gauche, puis le tenant avec seulement deux doigts, le bras tendu, comme s’il voulait limiter la souillure au maximum, il fonce vers la poubelle la plus proche pour y jeter son fardeau. Ensuite, il retrouve son allure tendue et son labeur de ramasseur minuscule.

A-t-il poussé à son extrême le scrupule bouddhiste qui interdit d’écraser la moindre fourmi, en l’étendant aux débris végétaux qui ne renfermeraient pas moins de vie ? Ou bien œuvre-t-il comme le colibri dans la fable de Pierre Rabhi, qui inlassablement retourne jeter quelques gouttes d’eau sur l’incendie qui embrase la forêt ? C’est peut-être ça : au quotidien, et sous les dehors d’un banal passe-temps, cet homme fait sa part.

Une réflexion sur “Avec soin

  1. Faire sa part, chacun et ensemble, c’est essentiel, c’est vrai: 7 milliards d’oiseaux (ou d’humains) qui transporteraient chacun 1 gr d’eau, ça ferait 7000 tonnes d’eau à l’arrivée … Laurent

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