Quelques pousses de lierre, aux avant-postes, ont hasardé les premières lignes du dessin. Ce matin-là, le mur exhalait une humidité organique. Il respirait une épaisseur de vie qui nappait ses pierres d’un velours prometteur. En fait, il réfléchissait.
Je la verrai dans un mois, mais j’y pense déjà. Je prépare mon entrée en matière, je cherche les premiers mots que je vais lui dire. Je redoute son accueil, je ne suis pas sûr qu’elle comprendra ma démarche, mon insistance à revenir la voir après une si longue absence. Nous ne sommes pas intimes, c’est délicat. Elle a accepté le rendez-vous, mais sait-elle ce que je lui veux ? Elle doit s’interroger. Je ne voudrais pas l’indisposer, la mettre dans l’embarras. Si elle se sent obligée de m’écouter, ne serait-ce que par politesse, son attention sera de pure convenance. Ai-je bien fait d’insister pour la voir ?
Voici quelques vers d’Anne Sylvestre pour compléter mon billet précédent sur le souvenir de l’enfance :
« L’enfant qui pleure au fond du puits Sans qu’on veuille l’entendre L’enfant qui pleure avait promis De garder le cœur tendre (…) L’enfant qui pleure au fond du puits A rêvé des merveilles Pour ne pas l’entendre moi je fuis Me bouchant les oreilles (…) L’enfant qui pleure au fond du puits Possédait les nuages Se tressait des nattes de pluie Pour ses dimanches sages (…) Nous avons chacun notre puits Où meurt un enfant tendre Nous l’entendons pleurer la nuit Sans jamais bien comprendre »
« Les orties continueront à pousser, même si je les arrache cent fois, et elles me survivront. Elles ont tellement plus de temps que moi. » (Marlen Haushofer, Le mur invisible, Arles, Actes Sud, collection Babel, 1992, traduit de l’allemand par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon, p.215)
Cette belle citation me fait penser à la réflexion lucide du paléontologue Stephen Jay Gould qui nous rappelait que, si l’humanité venait à disparaître, les fourmis ne se seraient même pas rendu compte de son existence.