
Je la verrai dans un mois, mais j’y pense déjà. Je prépare mon entrée en matière, je cherche les premiers mots que je vais lui dire. Je redoute son accueil, je ne suis pas sûr qu’elle comprendra ma démarche, mon insistance à revenir la voir après une si longue absence. Nous ne sommes pas intimes, c’est délicat. Elle a accepté le rendez-vous, mais sait-elle ce que je lui veux ? Elle doit s’interroger. Je ne voudrais pas l’indisposer, la mettre dans l’embarras. Si elle se sent obligée de m’écouter, ne serait-ce que par politesse, son attention sera de pure convenance. Ai-je bien fait d’insister pour la voir ?
Chaque rencontre me plonge dans la confusion. Celle-ci plus encore que les autres. J’en rumine tellement l’imminence que je la vis dix fois, cent fois, avant même l’instant du face à face. Sans m’en rendre compte, je ressasse mon amorce, ma première phrase, celle qui déterminera la suite. J’ai lu quelque part que chez certains écrivains aussi le déclencheur de l’œuvre était la première phrase. Dès qu’ils l’ont, s’engage l’écriture. Chez moi, elle s’incruste dans mon esprit et y entame sa propre existence sans rien déclencher pour autant, sinon une forme mécanique, involontaire, de rumination. Je la rabâche comme un comédien qui répète son texte. Je joue la scène à l’avance.
Il m’arrive de développer l’intrigue au-delà de cette entame redite jusqu’à l’usure. Si je lui dis ceci et qu’elle me répond cela, je pourrais enchaîner par ci ou ça. Je suppute, j’évalue, je teste. Pas à pas, je progresse dans la scène. Il m’arrive de la creuser jusqu’à m’y perdre. Que disait-elle déjà ? Comment le saurais-je ? Je la connais si peu. Et pourtant, j’y retourne, je n’en ai pas fini avec mes supputations. Je m’incruste ainsi dans une fiction du probable qui me rassure. Je me répète que je n’arriverai pas démuni le jour J, j’aurai prévu autant qu’il est possible de le faire. Les indices sont faibles, mais qu’importe. Je veux m’assurer, me conforter. Je déteste partir à l’aventure, me lancer comme un plongeur de haut vol. J’ai par-dessus tout horreur du risque.
Trois jours avant, elle m’envoie un message pour s’assurer que notre rendez-vous tient toujours. Comme je le craignais, elle s’interroge sur son utilité, elle aimerait probablement en être déchargée. Du coup, je ne suis plus sûr de rien. J’ai eu beau consolider mon plan et ses développements depuis un mois, peaufiner chaque détail, connaître mon texte par cœur et même le sien, je sens l’édifice se lézarder, une fissure béer à la base qui menace de tout emporter. Il faudrait reprendre dès le début, mais le temps me fait défaut L’angoisse m’envahit, un trou noir engloutit le scénario que j’ai si patiemment élaboré et je me retrouve au bord d’un gouffre sidérant. Alors, sans réfléchir, je lui réponds que je m’apprêtais justement à la joindre pour reporter notre rencontre. Je prétexte le premier empêchement qui me vient à l’esprit. Elle s’en saisit et voilà notre rendez-vous repoussé de quinze jours. Elle ne devait pas y tenir tant que ça. Mais qu’importe, je respire de nouveau.
Le répit sera de courte durée. Certes, j’ai deux semaines devant moi, mais j’y repense déjà…
Elle a vraiment le regard vache !!!
Super ton texte – dans l’actualité –
Continue, tu es très inspiré.
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Cette vache n’a manifestement pas la chance d’être couvée par deux voisines !
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