Vient de paraître

J’ai le plaisir d’annoncer la publication dans la revue Harfang d’une de mes nouvelles intitulée Le voyage. Méditation vagabonde sur les origines.

Je vous en livre le début pour vous donner envie de la lire en entier :

Je transportais quelques photos dans une sacoche. Je ne m’en séparais jamais. C’était là mon unique bagage. Et pourtant, je voyageais beaucoup.

Le jour de mes dix-huit ans, j’avais attrapé, sur le haut de l’armoire, la boîte à chaussures qui contenait les photos de la famille et les avais éparpillées sur la moquette. Mes parents n’avaient jamais pris le temps de composer un album. Leur vie ressemblait à cet amas d’instantanés : quelques éclairs de joie, épars, inattendus et sans suite, comme s’il leur était impossible d’entretenir le bonheur pour le faire durer, séparés par de longues périodes d’apathie alternant sans raison avec des accès de colère. Personne à la maison n’était capable d’expliquer, encore moins de contrôler, ces changements d’humeurs. Il fallait que ça crie. Le temps qui sévissait dehors ne nous semblait pas moins incontrôlable que l’atmosphère qui régnait dedans. On la subissait, voilà tout. Parfois, l’air était à la fête, on sortait l’appareil pour prendre quelques photos goguenardes de l’événement. Plus souvent, on oubliait d’en faire ou alors il n’y avait pas de pellicule. Le même film pouvait durer des années, puis demeurer à l’état de bobine longtemps encore avant qu’on se décide à le faire développer, davantage comme on fait le vide dans un tiroir que par souci de découvrir enfin les photos. Ensuite, la pochette atterrissait dans la boîte à chaussures, souvent même sans qu’on ait pris la peine de l’ouvrir. Un sens irraisonné de l’archive dictait ces gestes mécaniques. Ainsi s’accumulaient des traces muettes d’une vie sans paroles.

Une à une, j’avais mis de côté mes photos préférées : quelques images de mon enfance, un portrait de ma mère jeune fille, des paysages de vacances passées au bord de la mer, le profil de mon père deux mois avant sa mort. Une dizaine tout au plus. Un bruit de pas sur le perron me fit ranger les autres précipitamment. J’entendis ma mère qui ouvrait la porte d’entrée et s’essuyait les pieds sur le paillasson. Parmi les dernières photos qu’il me restait à remettre dans la boîte, j’aperçus soudain la vue d’une maison inconnue. Sans même savoir pourquoi, je la fourrai dans ma poche avec les autres, remis la boîte en place et sortis furtivement de la chambre de ma mère.

Le soir venu, j’entassai quelques affaires dans un sac, la poignée de photos que je venais de recueillir, descendis de ma chambre en chaussettes, passai silencieusement devant la porte du salon où ma mère repassait en regardant la télévision, attrapai mon blouson et mes chaussures, ouvris précautionneusement la porte du jardin qui grinça comme d’habitude et m’élançai dehors. Je sentis mes chaussettes se mouiller au contact de l’herbe encore humide de la pluie du matin, mais je ne ralentis ma course qu’après avoir enjambé le muret du fond. Une fois sur le trottoir de la rue, je laçai mes chaussures et me remis à courir, parce que je fuyais et que la fuite se pratique en courant. J’atteignis la gare à bout de souffle, puis montai dans le premier train pour Paris. Au terme d’une heure passée à redouter les contrôles, je posai le pied sur le quai de la gare du Nord. (…)

 

 

 

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