L’arrière-saison a décidément de ces sursauts ! On voit ces jours-ci refleurir des rhododendrons, pointer des nouvelles fleurs de crocus. À quand les marguerites en octobre, les pivoines en novembre ?

J’avais oublié mon vélo dans le jardin. Il avait plu pendant la nuit. Trop tard pour les regrets. Lorsque je suis descendu pour le reprendre, les fleurs l’avaient envahi : un massif de verveine du Pérou s’était implanté dans le siège bébé, tandis qu’un hibiscus prenait ses aises dans le panier avant. Inutile de chercher une explication.

Je n’ai pas eu le courage de les déloger tant l’effet décoratif était réussi. Je suis donc parti avec mon vélo fleuri, les tiges au vent, ployant à droite à gauche. Avec un tel équipage, je ne suis pas passé inaperçu. Les automobilistes ralentissaient à ma hauteur pour me suivre des yeux, des passants s’arrêtaient sur le trottoir en s’exclamant. Un livreur qui chargeait sa camionnette a marqué une pause pour me gratifier d’un « Original ! », le sourire aux lèvres.

Je traînais dans mon sillage une nuée d’insectes. Bientôt, des oiseaux ont commencé à me suivre, certains ont même eu l’audace de se poser sur le cadre à la faveur d’un arrêt devant un feu rouge. J’étais devenu pour eux un îlot de végétation en mouvement, pas plus surprenant à leurs yeux que les massifs implantés au milieu des ronds-points ou les suspensions qui pendent aux réverbères.

Mon vélo bruissait d’échos de plus en plus inattendus. Dès le lendemain, découvrant qu’un nid s’était implanté dans le panier, je n’ai plus osé me remettre en selle, de peur de dissuader ces nouveaux locataires d’y pondre leurs œufs. Mon vélo ne m’appartenait plus. Je l’ai donc adossé au cerisier, au milieu de la pelouse, afin de bien le voir depuis la fenêtre de la cuisine. Chaque matin, je suis sa transformation en massif végétal, en pension pour insectes, en nichoir pour oiseaux. Bientôt, il aura complètement disparu sous les feuilles et les fleurs.

L’arrière-saison a décidément de ces sursauts !