L’heure d’hiver nous invite à dormir davantage, mais dès le lendemain nous réveille plus tôt. Elle ramène la clarté du petit jour pour nous la ravir en quelques semaines et nous plonger dans la nuit au lever comme à la sortie du travail. Nous endossons pour plusieurs mois notre cadence de somnambules à l’heure où les ours, les marmottes ou les loirs se lovent sagement dans un sommeil à l’unisson du silence de la Nature. Que savons-nous encore de ces rythmes profonds, nous qui éclairons la nuit de nos villes pour en repousser les ténèbres, les peurs qu’elles nous inspirent, les ombres qui les peuplent ? Les enfants réclament la lumière pour s’endormir, les couloirs demeurent éclairés par des veilleuses qui ne s’éteignent jamais, nos machines affichent des points lumineux rouges ou verts pour signaler qu’elles demeurent en permanence à notre service, l’électricité court inlassablement le long de câbles qui font le tour de la planète.
L’hiver est relatif dans ce monde irrigué par des torrents d’électrons. Même ses chutes de températures ne traversent pas nos doubles vitrages. Nous regardons tomber la neige comme un film sur grand écran. Nous ne savons rien du silence à couper le souffle qui figeait les étendues gelées de la Kolima, nous n’avons jamais entendu le grondement de la banquise qui rabotait les brise-glace dans le détroit de Behring. Même les Lapons suivent désormais la progression de leurs troupeaux de rennes sur Internet.
Demain, il suffira de plonger un fil électrique dans l’océan pour le réchauffer comme s’il s’agissait d’une simple bouilloire. Nous aurons électrifié, réchauffé la totalité de la Terre, nous l’aurons transformée en un immense radiateur programmable au degré près. Pour simuler l’hiver – car nous resterons attachés aux réminiscences de notre passé sauvage –, il nous suffira de baisser légèrement le thermostat et de déclencher un programme vidéo qui projettera sur les écrans incorporés à nos fenêtres des hologrammes de neige et de ciels bouchés afin de raviver nos souvenirs des temps que nous n’aurons jamais connus où le froid s’installait pendant des mois et immobilisait la vie des plantes comme des animaux. Nous passerons encore à l’heure d’hiver afin d’accroître la sensation d’un changement de saison et nous frissonnerons dans le petit matin rien qu’à découvrir l’obscurité si bien simulée par la réalité augmentée de nos villes hyper-connectées. L’hiver sera devenu une chimère dans ce monde sous contrôle, mais que deviendrait notre sentiment d’exister sans ces artifices, la simulation des saisons et des sautes atmosphériques que nous réservait la Nature du temps où elle avait plein pouvoir sur nous, du temps où il suffisait d’une volte-face du vent pour nous bloquer sous les congères ?
Photographies : Sylvain Maresca
Merci de faire partager tes jolies textes et tes belles photos
liliane
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Merci Liliane. L’heure d’hiver : une incongruité que vous ne connaissez pas aux Antilles.
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A oui quand même, je suis tombé sur ce texte en premier, j adore le style, c’est tellement bien écrit, impressionnant!!
ça donne envie de lire les autres.
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