Le chat regarde.
Posté contre la vitre de la fenêtre,
il pose ses yeux sur le monde.
Attentif, concentré, disponible, neutre,
il accueille ce qui s’inscrit et se déplace
dans son champ de vision.
Aucune expression perceptible,
ni joie, ni surprise, ni dépit.
Il réalise avec aisance et intensité
l’idée même de contemplation,
qui consiste à « regarder
en s’absorbant dans la vue de l’objet ».
A quel « temple » a-t-il accès,
cet animal dépourvu de religion ?
Car, selon les traditions antiques,
celui qui con-temple
rejoint l’augure dans son carré
délimité dans le ciel et sur terre
pour interpréter les présages.
Le chat est à lui seul ce carré,
solidement posé sur le sol
tandis que son regard scrute
la trace gazeuse des avions
qui sillonnent l’azur.
Il les suit du regard,
cela ne le gêne pas
d’ignorer ce qu’ils sont.
Il accepte la présence des choses
dont il ne connaît pas la nature,
s’applique à les regarder
pour s’en détacher aussitôt.
Absorbé et versatile,
sans attache ni intérêt,
tel le sage chinois qui médite.
Mais, à la différence du moine
qui voue sa vie à s’en détacher,
le chat, lui, est sans idée.
Le chat regarde,
puis il s’endort.
PS : Un sage est sans idée est le titre de l’ouvrage que François Jullien a consacré à la comparaison des visées, passablement divergentes, de la sagesse chinoise et de la philosophie occidentale.
Photographies : Sylvain Maresca