Le premier jour – 3

Épisode précédent.

Photo : Sylvain Maresca

Le lendemain, Irina – ainsi se prénommait la serveuse – s’attendait à voir Étienne revenir à neuf heures. Le patron du bar lui avait expliqué qu’il était d’une ponctualité remarquable, pour ainsi dire obsessionnelle. Ce garçon avait le don d’organiser sa vie au millimètre et de n’en pas dévier. Même pour se lancer dans l’entreprise ô combien aventureuse d’un roman, il lui fallait un protocole immuable, répétitif, une routine inscrite dans ses gestes comme dans chacun des os de son squelette. Un tel rempart devait probablement le rassurer et lui permettre d’endiguer les angoisses de la création. Car, aussi étonnant que cela puisse paraître, cet ennemi du hasard était un artiste, un écrivain inconnu, sans éditeur, qui accumulait les pages et les pages, mais qui continuait néanmoins d’écrire, avec une obstination elle aussi proprement maniaque.

Neuf heures sonnèrent, puis le quart, la demie. Il ne se montra pas. Irina s’impatientait. Elle sentit la nervosité la gagner, puis un malaise pesant pétri de déception, de ressentiment, agacé par la crainte d’un malheur à venir. Elle était sujette aux prémonitions. Son cœur lui inspirait des peurs qu’elle ne contrôlait pas. La veille, dès quelle avait vu cet homme rivé à sa table avec la détermination d’un bernard-l’hermite, irrité de devoir commander son café quotidien au mépris de ses habitudes les plus acquises, Irina s’était attachée à lui. Elle n’en avait rien montré, bien sûr, jouant la désinvolte, dans l’espoir de le faire réagir et prendre conscience de son existence. Elle avait perçu aussitôt le trouble dans lequel son irruption l’avait plongé et s’en était délectée toute la matinée sous ses dehors de s’en amuser. C’est pourquoi, désir et appréhensions mêlés, elle l’attendait ce matin comme s’ils avaient pris rendez-vous.

Or, il ne venait pas. Irina s’en alarma comme si un cataclysme s’était produit, rien de moins. Elle ne le connaissait pas et pourtant s’inquiétait de lui avec l’émoi d’une amante, l’affliction d’une mère.

La matinée s’écoula sans aucune nouvelle de lui.

(A suivre…)

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