Contes de l’Avent 2

(Ébauche d’une version contemporaine des Rois Mages)

Photo reprise du site http://www.cakemabrouk-recettes.fr

CONTE DE LA MER

Son horizon à lui était l’autre rive de la mer. On en parlait de père en fils. On lui répétait que là-bas coulaient des fontaines de miel et de lait, que la vie était prospère et l’avenir assuré. Dans chaque famille, le cadet – autant dire lui – était destiné à entreprendre la traversée pour tenter sa chance à son tour. Tel était son destin, il ne pouvait échouer.

Il s’embarqua, trop jeune encore pour en avoir envie, mais puisqu’il le fallait… Sa mère trempa son épaule de ses larmes, il ravala les siennes devant son père et ses oncles réunis. Il partit les poches vides avec pour seul viatique une adresse écrite sur un bout de papier qu’il ne savait pas lire.

La pluie, la grisaille l’attendaient de l’autre côté. Sa courte veste le protégeait à peine. L’eau des fontaines était froide.

Ils étaient des milliers qui, comme lui, s’échinaient à construire les maisons des autres. Des chantiers interminables, sans même un toit pour eux, rien de solide, rien à soi. Il se privait comme les autres pour envoyer de l’argent au pays. Surtout ne pas déchirer le voile, oui le miel et le lait coulaient en abondance, quelle chance ils avaient d’être ici !

A force de le ressasser, le mirage du miel et du lait tant espérés ne le quittait plus, il en vint à occuper tout son esprit. La nuit, il voyait une étoile à cinq branches s’élever, ruisselante de miel, dans le ciel cristallin. Les gouttes tombaient sur sa joue qu’il essuyait du bout des doigts pour déguster ce délice. Mais dès l’aube, l’extase refluait devant le train furieux du labeur, qui claironnait l’heure avec impatience.

Ses premiers gâteaux, il les offrit le dimanche à ses compagnons de chambrée, discrètement pour ne pas se faire moquer. Pensez donc, un homme qui fait de la pâtisserie ! Mais ils étaient si délicieux, si intimement pétris de miel, que bientôt leur renommée filtra hors des murs du foyer, de la cité, du quartier. Les gens faisaient la queue des heures durant pour espérer repartir avec ne serait-ce qu’une poignée d’étoiles de miel. Ses mains n’étaient plus souillées par la poussière et les gravats, mais blanchies de farine. Il les essuyait sur son ventre avec satisfaction pour servir les clients. Désormais, il vivait enveloppé d’un parfum entêtant de miel, comme un élixir conjurant la pluie et la grisaille qui dehors n’avaient jamais cessé. Une petite étoile électrique, plus crachotante qu’éclatante, signalait son échoppe, mais les étoiles qui se dégustaient, les seules véritables, étaient faites de farine, de lait et de miel.

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