
Samba déambule dans la ville, drapé dans une gandoura bleu ciel rehaussée de broderies dorées qui lui confèrent le port souverain d’un monarque en visite officielle. Alors que ce manœuvre africain savoure simplement son premier jour de congé en France.
Sous le banc où il prend place, il aperçoit une canette de bière grossièrement écrasée, deux ou trois capsules de bouteille et des papiers sales. Instinctivement, il s’attend à ce qu’un gamin ou une vieille femme les ramasse et les emporte dans sa carriole bricolée avec un bidon d’huile vide ou une cagette de fruits. Mais ici nul ne vient récupérer ces déchets, comme s’ils n’intéressaient personne. L’économie s’est arrêtée à la consommation des boissons et des sandwichs. Au-delà s’ouvre le gouffre insondable de l’élimination. Samba s’inquiète de cette richesse négligée, mais comme lui non plus ne sait pas quoi en faire, il reste à la regarder, en proie à une mélange de gêne et d’incompréhension.
Un bruit de moteur et de jet d’eau le sort de sa rêverie. Il signale l’arrivée d’une machine tempétueuse dont les brosses circulaires balaient le sol en happant les détritus. Elle les avale sans relâche tout en poursuivant son chemin, laissant derrière elle une trace humide et désinfectée. Malheureusement, la canette qui intriguait Samba est trop proche du pied du banc pour lui être accessible : elle y restera, tout juste malmenée par le jet de liquide. Samba suit la progression imperturbable de l’engin jusqu’au coin de la rue derrière lequel il disparaît. La canette est toujours là et aucun enfant, aucune vieille ne viendra la récupérer.
Survient un chien qui pose ses pattes avec dégoût sur le trottoir encore humide. Manifestement, l’hygiène municipale ne lui convient guère. Avisant l’arbre qui pousse près du banc, il tire vigoureusement sur sa laisse pour s’en approcher. Sa maîtresse se laisse guider par le besoin pressant de son animal qui, sans plus attendre, dépose avec volupté sa crotte au pied du tronc. Dégoûté, Samba n’est pas au bout de ses surprises : la dame sort en effet de sa poche un petit sachet en plastique, y enfile une main et, ainsi gantée de près, ramasse la déjection du chien, puis referme le sac. Quelques mètres plus loin, elle le jette dans une poubelle avec la fierté du devoir accompli. Le chien tire gaiement sur sa laisse et leur promenade se poursuit. Ici, ce sont les merdes de chien que les vieilles ramassent.
Samba se lève, passablement perturbé par ce qu’il vient de voir. Il repart d’où il est venu, mais sur son chemin, il passe devant une vitrine qui expose des amoncellements de canettes compressées. Il ignore bien sûr qu’il s’agit d’une galerie et d’une œuvre d’art contemporain.
il n’est qu’un travailleur africain n’est pas une formule heureuse. La photo d’une femme n’est peut-être pas celle qu’il fallait. Ou alors il fallait faire du héros une héroïne.
Ces deux réserves faites je dois avouer que le texte très fin et très plaisant. m’a énormément plu. Merci
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