
Le bruit des détonations le surprit. Il écouta, elles reprirent, elles semblaient venir de près. « On dirait un feu d’artifice. »
Sébastien sortit de sa chambre et interpella Jeannine qui regardait le énième épisode de la série Meurtres à Nulle-Part-sur-Ennui :
– Dites-moi Jeannine, c’est quand qu’ils tirent le feu d’artifice cette année ?
– Quoi ?
Jeannine n’aimait pas être dérangée en pleine intrigue.
– Le feu d’artifice, c’est quand ?
– Le 14 juillet, comme d’habitude. Pourquoi ?
– Vous n’entendez pas les bruits ? On dirait qu’ils ont déjà commencé.
– Je n’entends rien, répondit-elle de mauvaise grâce, en augmentant le son de la télé pour bien lui signifier que l’échange était terminé.
« C’est étrange, se dit Sébastien. On n’est que le 12. » Il tendit l’oreille : plus rien. « J’ai dû rêver. » Mais alors qu’il s’apprêtait à rejoindre sa chambre, une nouvelle pétarade se fit entendre. « Je vais voir. Ça serait trop bête de rater un feu d’artifice si près de chez nous. » En sortant de la maison, il lança à Jeannine « Je sors », histoire qu’elle ne s’inquiète pas, vu l’heure tardive, mais elle n’entendit rien : l’assassin était tapi dans l’ombre, elle respirait à peine.
Il se dirigea vers les HLM qui s’élevaient juste derrière les clôtures des jardins. Les petits pavillons leur tournaient le dos, comme pour se protéger de la menace diffuse qui émanaient de ces grandes tours décrépies et surtout de la rumeur qui leur faisait une réputation sinistre. Sébastien n’y avait jamais mis les pieds, mais sa curiosité l’emportait sur tout autre sentiment. De surcroît, son insouciance coutumière le protégeait contre les humeurs sombres.
Comme les sons se répercutaient d’un immeuble à l’autre, il lui était difficile de s’orienter vers la source des détonations, qui avaient repris avec insistance. Il se mit à courir dans l’espoir d’apercevoir quand même quelque chose, car les barres non seulement dispersaient le son, mais lui cachaient la vue. C’est ainsi qu’il déboucha sur une place enfumée au centre de laquelle un petit attroupement faisait brûler des braseros et lançaient des fumigènes en poussant des cris de sauvages. Il s’arrêta pour contempler le ballet de ces silhouettes fantomatiques qui émergeaient d’écrans opaques étrangement rose fuchsia et bleu turquoise. On aurait dit des danseurs louvoyant à travers des effets de lumière psychédéliques. Sébastien n’avait jamais vu un spectacle aussi étrange.
Au moment où il s’avançait pour aller de voir de plus près de quoi il retournait, une voix rauque l’interpella :
– Qu’est-ce qu’il fout là, ce gland ?
– Moi ?
– Oui toi. T’es venu faire du tourisme ?
– J’ai entendu les détonations. J’ai cru que c’était un feu d’artifice.
– Eh les mecs, il voulait voir le feu d’artifice, ce teubé !
L’éclat de rire généralisé qui salua cette marque confondante de naïveté révéla à Sébastien qu’une bonne dizaine de gars se rapprochaient de lui d’un air menaçant. Le temps de la blague était terminé.
– Tu vas te barrer et plus vite que ça, sinon je lâche les chiens. Y’a rien à voir pour les Martiens comme toi. Retourne sur ta planète.
Sébastien recula pas à pas devant le front de cuir et de barres de fer qui se rapprochait de lui en silence. On n’entendait plus rien, les fumées s’étaient dissipées, dévoilant l’endroit pour ce qu’il était : le repère sordide d’une bande qui détestait les intrus.
– Allez, fous le camp !
Sébastien prit les jambes à son cou, poursuivi par deux clébards qu’il n’avait pas vus approcher. Il courut, courut, sans se retourner, enfila les rues aux façades borgnes, ne sachant plus s’il avait repris le chemin par où il était venu, mais tant pis, il courut, ses tempes lui battaient un rythme oppressant qui le paniqua plus encore.
Au détour d’une rue mieux éclairée que les autres, une rue qui aspirait les premières effluves de calme, une rue qui offrait enfin de voir le ciel par-dessus les toits, Sébastien butta sur un vieil homme qui prenait le frais devant chez lui.
– D’où tu sors, toi ? On dirait que tu viens d’échapper de peu aux flammes de l’enfer.
– Excusez-moi, Monsieur, j’ai failli vous renverser.
– Tu viens de là-bas ?
Sébastien opina. Inutile de préciser ce que l’inconnu entendait par « là-bas ».
– Qu’est-ce qui t’a pris de t’y aventurer ?
– J’ai cru qu’ils tiraient un feu d’artifice.
– Un feu d’artifice ?! Sans blague !
– Ben, c’est la période, non ?
– C’est surtout la période des livraisons.
– Des livraisons ?
– D’où tu sors, gamin ? Tu sais que t’es un cas ?
– Expliquez-moi, Monsieur, je ne comprends rien à ce que vous dites.
– Je le vois bien, pauvre malheureux. T’as tout simplement failli te faire scalper.
– Mais pourquoi ?
– Sache donc, ignare au carré, que ces détonations signalent les livraisons. Et ne me demande pas les livraisons de quoi ?
Le regard perdu que Sébastien posa sur le visage du vieil homme suffit à ce dernier pour comprendre que, si, il allait devoir lui expliquer ce qu’on livrait en pleine nuit entre les tours. Alors, d’un ton las, mais appliqué, sans toutefois entrer trop avant dans les détails du trafic, l’ancêtre lui expliqua, s’efforçant surtout de lui faire toucher du doigt à quel point il avait frôlé la catastrophe. D’autres étaient morts pour moins de que ça.
– Ne t’avise plus jamais de rappliquer ici lorsque tu entendras de nouveau des détonations en pleine nuit. Demain soir, va plutôt sur le Champ de Mars voir le feu d’artifice de la mairie. Ici, c’est un champ de mines.
– Mais vous, ils ne vous inquiètent pas ?
– Oh moi, tu sais…
Le ricanement du vieillard glaça le sang de Sébastien, qui subitement se demanda… Mais il préféra s’éloigner sans approfondir la question. Il trouva Jeannine endormie devant la télé. Des images de descentes de police s’agitaient sur l’écran. Mais il en aurait fallu plus pour la réveiller.
Retrouver les aventures précédentes de Sébastien Mërcy.
Tout ça est si réel, et si triste aussi … Laurent
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Endormis par des « panouilles » télévisuelles à casier,
En silence et catimini : Quartiers fagocités….🤫
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