A la Maison de Victor Hugo à Paris se tient encore pour quelques jours une exposition intitulée La folie en tête, avec pour sous-titre : Aux racines de l’art brut. Elle présente les premières collections d’œuvres de personnes internées dans des asiles, à l’initiative souvent personnelle de quatre psychiatres européens pionniers dans une approche plus ouverte de la folie et de ses productions. Son rapport avec Victor Hugo ? Son frère Eugène et sa fille Adèle furent internés.
« Refusant l’imagerie de la folie et sa mise en spectacle des troubles mentaux, l’exposition entend ne montrer que l’œuvre des malades et leur rendre hommage, en tant qu’artistes, comme elle rend aussi hommage aux psychiatres. »
Et pourtant, le titre affiche clairement la thématique pesante de la folie. Un article de presse résume l’exposition par cette formule : « Quand l’art fait l’éloge de la folie ». De même reprend-elle l’expression d' »art brut » inventée en 1945 par Jean Dubuffet.
Ces formulations confisquent d’une main la reconnaissance qu’elles semblent accorder de l’autre : elles attribuent une capacité créatrice aux malades mentaux, mais en font les artisans inconscients de leur art. Catalogués comme fous, et non pas comme des génies incompris, ils façonneraient un art « brut », oxymore peu valorisant s’il en est.
« Humbles adeptes qui sont au maître ce qu’est au diamant la poussière de charbon », écrivait Marcel Réja, l’un des premiers médecins aliénistes à s’être intéressé aux dessins de malades mentaux. Quant à Dubuffet, il affirmait : « L’or m’émeut bien davantage au moment où il apparaît en poudre informe, mêlé en pauvre quantité au sable de la rivière qu’après qu’il est sorti des mains de l’orfèvre ».
Et pourtant, les artistes, les « vrais », ne tutoient-ils pas souvent certaines marges de la conscience qui avoisinent la folie ? Ne seraient-ils pas à leur manière des fous que l’art rendrait acceptables, fréquentables ? D’ailleurs, le premier auteur d’un livre sur L’art chez les fous, le docteur Paul Meunier, s’y intéressa parce que, selon ses propres termes, ils dévoilaient « la nudité du mécanisme de la création ». On serait donc là au cœur de la création et non pas dans une de ses périphéries improbables.
La poésie du terme japonais Komorebi élude utilement la référence à la folie – forcément disqualifiante – pour insister sur ce qui filtre de ces esprits habités par d’autres imaginaires trop étrangers à notre « normalité » pour être acceptés parmi nous. Il en fait des artistes parvenus en quelque sorte à un point créatif de non retour et non pas des fous qui par bribes et sans trop le vouloir trouveraient parfois encore le moyen de communiquer avec nous.