Étienne avait ses habitudes dans ce café. Chaque matin, à neuf heures, il allait s’asseoir à une table du fond qui lui offrait une vue sur l’ensemble de la salle tout en le mettant à l’écart du brouhaha. Il aimait regarder les gens, mais préférait ne pas trop les entendre.

Ce matin-là, il découvrit une nouvelle serveuse. Déterminée, pas le moins du monde intimidée par son premier jour de travail, elle passait entre les tables avec aisance, portait son plateau souplement et s’adressait aux clients comme à de vieux habitués qu’elle aurait servis depuis des semaines.

De longues minutes après qu’il ait pris place, elle vint prendre enfin sa commande, ce qui eut le don de l’agacer. D’ordinaire, il avait à peine fini de sortir son bloc de papier et son stylo que son café lui était servi. Il n’avait rien à demander, tant la routine était installée. Il tenait à cet automatisme qui agissait sur lui comme le déclencheur de son travail. Il se mettait aussitôt à écrire sans plus guère prêter attention aux allées et venues du café, sauf pour de courtes pauses au cours desquelles ses yeux se délassaient du papier noirci d’écriture en divaguant d’un client à l’autre.

Il dut répondre à la serveuse qu’il souhaitait un café bien serré avec un verre d’eau. Il le fit de mauvaise grâce en la regardant d’une manière insistante qui signifiait : « Vous ne connaissez pas les habitudes de la maison. Je vous conseille de vous mettre au courant, et vite. »

La fille prit sa commande d’un air moqueur. Un court instant, il se demanda si elle ne l’avait pas fait exprès, uniquement pour lui faire comprendre qu’avec elle rien ne serait plus comme avant. Il la regarda regagner le comptoir l’esprit vide. Il ne pensait à rien, ne savait plus ce qu’il était venu faire là. Quelque chose s’était déréglé dans la mécanique de son travail et il restait en suspens, interdit, inquiet…

(A suivre…)