
Au réveil, comme chaque matin, Sébastien regarde par la fenêtre. Il s’enquiert de la journée à venir en scrutant le ciel. La forme des nuages lui inspire l’humeur du jour. C’est son rituel inaugural.
Étonnamment, un ciel bleu, sans le moindre effiloché, sans même un léger voile laiteux, un ciel purement, durement bleu, l’inquiète. Il a conservé de l’Anatolie, où pourtant il n’a jamais vécu, une crainte viscérale du bleu, présage de chaleur suffocante et de sècheresse. Il a beau savoir qu’en France, le beau temps ne dure jamais longtemps – encore que… -, il ne peut s’empêcher de redouter ce chef-d’œuvre de pureté implacable.
Il préfère de loin les ciels changeants. La déambulation des nuages l’enchante, leur empressement sans horizon ou bien leur lenteur indolente. La forme qu’ils lui proposent au petit matin a toujours une signification, il en est convaincu. A force de les contempler, il en a percé certaines, mais la plupart lui échappent. C’est un spectacle, pas un discours.
Voici pourtant que, ce matin-là, le ciel l’interroge :
– Sébastien, que vas-tu faire de ta vie ?
Ledit Sébastien a beau concéder au ciel qu’il admire chaque matin une science inépuisable du monde, accumulée depuis l’origine, et peut-être même avant, il n’est pas prêt pour autant à se faire interpeler par une voix sans matière. Pour la première fois, il réalise que le ciel le regarde. Leur face-à-face commence.
– Ma vie ? Que vais-je faire de ma vie ? A vrai dire, je n’en sais rien.
– Ça ne t’intéresse pas ? Tu ne voudrais pas savoir ?
– Parce que vous le savez, vous ? C’est déjà écrit quelque part ?
– Écrit ? Je ne comprends pas.
Cet aveu d’ignorance rassure Sébastien. Ainsi, le ciel ne sait pas tout. Mais peut-être quand même pas mal de choses.
– Que savez-vous de moi, au juste ?
– Tes yeux sont un puits profond au fond duquel j’aime à me refléter.
– Et moi qui pensais que je vous regardais.
– Aussi. Deux miroirs en vis-à-vis, une infinité de jeux de lumière.
– Qu’y a-t-il derrière le vôtre ?
– Rien, le vide.
– Au fond, vous faites écran.
– Comme toi, avec des questions. Au lieu de faire diversion, tâche donc de répondre à ma question.
– Quelle question ?
– Que vas-tu faire de ta vie ?
– Je le saurai le jour où vous-même, vous saurez quel temps il fera demain.
– Habile. Tu trouves toujours le moyen de t’esquiver. Serais-tu donc aussi évanescent que mes nuages ? Je les embarque, ils se laissent faire. Mais tu n’es pas un nuage.
– Si seulement… J’aimerais tant.
– Chaque matin, je te vois derrière la même fenêtre. Je ne connais pas de nuage aussi obstiné. Et pourtant, tu viens de loin.
– Comment le savez-vous ?
– Je le sens, ça se voit. L’aventurier m’interroge avant de se lancer. Le détenu m’adresse ses vœux impuissants de liberté. Tu te situes entre les deux.
Sébastien n’opine pas. Il a besoin de réfléchir. Un train de nuages sombres passe. Il a l’impression que ce n’est plus le même ciel.
– Vous êtes toujours là ?
– Où veux-tu que je sois d’autre ? Ici ou ailleurs, c’est la même chose pour moi.
– Vous parlez à tous les yeux que vous apercevez à travers les fenêtres ? Dans toutes les langues ?
– Tu voudrais être le seul ?
– Peut-être en effet. Au moins savoir pourquoi.
– Pourquoi, quoi ?
– Pourquoi vous vous souciez de moi.
Le ciel ne répond pas.
Sébastien pressent que leur conversation vient de s’achever. Les nuages défilent, la journée commence. Déjà, l’odeur du café l’attire vers la cuisine. Doit-il lui dire au revoir ? Il aimerait bien reprendre leur conversation demain matin au réveil. Le ciel sera-t-il là ?
« Dis donc, que vas-tu faire d’ici là ? Ce serait bien que tu aies quelque chose de nouveau à lui raconter. » Voilà à présent qu’il se parle à lui-même, comme si la voix du ciel s’était infiltrée à l’intérieur de lui. Il apprécie cette intuition qu’il emporte désormais le ciel au plus profond de lui-même. Et réalise ceci : les nuages sont les questions du ciel.
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